Par : Pr C. Touhami
Ancien recteur
Ancien recteur
On peut se poser la question légitime, pourquoi un si grand savant, qui a
consacré sa vie à l’étude des textes sacrés, et à l’islamologie, est
resté étranger dans les populations musulmanes et arabes ?. Enfant, au
même titre que le grand écrivain Mouloud Mammeri de ce petit village de
Taourirt-Mimoun, de milieu modeste, Mohamed Arkoun était un fin
connaisseur de la langue et culture arabes. Très tôt, il avait montré
son aspect militant et rebelle, et déjà en 1951, il avait animé une
conférence dans son petit village sur la condition de la femme.
Respecté et admiré par les chercheurs de l’anthropologie et l’islamologie, considéré comme le plus grand maître et connaisseur de l’Islam de ces dernières années, il est, en fait, une grande école, et une grande figure de la pensée. Alors qu’il est présent dans les universités, il reste un anonyme, un paria dans les populations arabes, et non reconnu par les instances religieuses et les cercles des pouvoirs arabes. Quelles sont les raisons ?
Respecté et admiré par les chercheurs de l’anthropologie et l’islamologie, considéré comme le plus grand maître et connaisseur de l’Islam de ces dernières années, il est, en fait, une grande école, et une grande figure de la pensée. Alors qu’il est présent dans les universités, il reste un anonyme, un paria dans les populations arabes, et non reconnu par les instances religieuses et les cercles des pouvoirs arabes. Quelles sont les raisons ?
Si Mohamed Arkoun n’a pas été écouté,
c’est à cause des traditions fermées, et la régression de la pensée dans
le monde arabo-musulman. Il n’est pas aimé par les États arabes, par ce
qu’il ébranle le socle sur lequel reposent les instances. Il est bien
souvent victime de propagande et de calomnie, de ces systèmes qui ont
étatisés et instrumentalisés l’islam. En Algérie, il n’est pas connu,
et il ne semble pas être apprécié. En fait, on le juge sans le lire et
l’étudier. Pour l’islam actuel et étatisé, un croyant n’a pas le droit
de repenser,ou d’interpréter le Coran et son écriture, et un chercheur,
tel que Mohamed Arkoun qui livre le texte coranique à la critique ne
peut être admis, le Coran n’étant pas un texte ordinaire. On oublie que
les musulmans dans les grands moments de leur histoire, et surtout sous
les Abbassides, avec le grand calife de l’Islam El-Maâmun, durant la
période des lumières, de tels débats ont bien eu lieu. On se souvient
des frères de la pureté (ikhwan es saffaâ) des mutazilites, et des
ascharites. On se souvient aussi des grands débats d’Ibn Rochd et de
Ghazali et leurs œuvres l’incohérence des philosophes, l’incohérence de
l’incohérence. Dans le célèbre traité décisif Ibn Rochd nous interpelle
par le verset coranique “Réfléchissez, ô vous qui êtes doués
d’intelligence”, faisant appel pour un croyant a la réflexion et à la
raison. Dès le dixième siècle est apparu en terre d’Islam un authentique
humanisme incarné par Tawhidi et Miskaweih où l’homme occupe une place
centrale dans la société. On pourrait d’ailleurs se poser la question si
Arkoun n’avait pas fait que reprendre ce fil conducteur de l’ouverture
et de l’Islam des lumières, et qui a porté le monde arabo-musulman vers
cette grande civilisation qui n’a pas livré tous ses secrets. Il est
admis aujourd’hui que Mohamed Arkoun incarne le dialogue des religions
et de l’ouverture. On le désigne comme un passeur entre les cultures et
les religions et aussi un grand savant. À telle enseigne qu’un de ses
élèves, Rachid Benzine, islamologue à l’Institut des études politiques
d’Aix-en-Provence, répondant à la question, Arkoun serait-il musulman ?
Il répond il faudrait plutôt poser la question ce qu’Arkoun a appris aux
musulmans ?
Pour Mohamed Arkoun, le sacré aujourd’hui travaille pour
produire du politique, et tout se joue sur ce qu’il nomme un triangle
de force constitué par la violence, le sacré, et la vérité. Il s’agit
aujourd’hui de déplacer ces espaces de religions en utilisant les outils
de l’intelligence et de la raison.
Arkoun parle du corpus clos, et
en fait de la fermeture de la porte de l’ijtihad chez les musulmans
d’aujourd’hui. Car depuis la disparition d’Ibn Khaldoun en 1406, ils
vivent une forme de somnolence, d’assoupissement et donc de régression
de la pensée. Le sursaut de la fin du 19e siècle de la nahda de Djamel
Eddine El-Afghrani et Mohamed Abdou, a été malheureusement une tentative
éphémère et n’a pas abouti. Cette situation n’est-elle pas l’origine et
la cause des crises actuelles ? N’est-ce pas peut-être cela qui manque
dans nos pays où l’ignorance est devenue la règle et qui explique ces
égarements et ces tragédies que nous connaissons, avec ces guerres
destructrices ? Bien sûr cette violence est dans toutes les religions et
les sociétés. Nous ne tenons pas compte hélas des données de
l’histoire. En effet, la notion de guerre juste a été théorisée pour la
première fois par Saint-Augustin, qui s’est transformé dans les
croisades en guerre sainte. Chaque religion s’est érigée en monopole de
la vérité, et donc dans la non-reconnaissance de l’autre. Ce vocabulaire
médiéval est encore dans nos têtes. Il s’agit de revenir à la question
de l’humanisme, en utilisant les outils de la pensée, de l’histoire et
de l’anthropologie. La modernité a débarrassé l’Occident de la violence
barbare, et cette évolution s’est faite avec le développement de
l’humanisme, dont les précurseurs se situent en Italie avec Pétrarque,
Pic de la Mirandole et s’est poursuivie avec le siècle des lumières.
Notons, au passage, que ces précurseurs occidentaux étaient imprégnés et
avaient connu la pensée des Arabes. Mais malgré cette évolution vers la
modernité, la violence a persisté. Elle a même été effroyable avec les
guerres mondiales et la tragédie de l’holocauste, et en intra
Européennes. Pour revenir à Arkoun, il s’agit pour les musulmans de
sortir des clôtures dogmatiques, si nous voulons éviter la violence, le
fanatisme et la régression que connaissent les pays arabes actuellement.
Mohamed Arkoun a fait un travail salutaire, et solitaire, il a voulu
tout simplement ouvrir l’islam à la modernité et à notre temps. C’était
donc un intellectuel indépendant, éclairé par la raison, ayant une
approche scientifique, avec le respect de la liberté et de l’autre. Il a
fait bouger les frontières et posé le problème du corpus clos. Il a
lancé un grand chantier sur l’islamologie, remettant en cause les
théologiens de l’islam, avec leurs discours fermés, et en suivant la
voie du grand philosophe musulman Ibn Rochd. Avec lui, on passe au
discours ouvert, à la tolérance et au respect de l’autre.
Arkoun est
un véritable phare et le meilleur défenseur de l’islam. Suivre sa voie,
c’est sortir l’islam de sa décadence actuelle, de la régression, et de
l’ignorance. C’est retrouver le chemin qui a guidé les musulmans dans
les moments forts de leur civilisation.
Nous ne pouvons que lui être
reconnaissants, nous incliner devant sa mémoire et espérer que les
jeunes générations s’en imprègnent.
Quotidien LIBERTE le 14/04/2013
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